Sécurité et défense (le point de vue finlandais sur la PECSD). Défense Nationale 3/2001

Erkki Tuomioja

Sécurité et défense (le point de vue finlandais sur la PECSD)

Défense Nationale, Mars 2001

C’est avec pragmatisme et dans la logique de sa politique européenne que la Finlande aborde le développement et la mise en œuvre de la politique européenne commune de sécurité et de défense (PECSD).
Depuis son adhésion, la Finlande s’est employée à renforcer les capacités de l’Union pour consolider la paix, la sécurité et la stabilité en Europe et, de manière plus générale, dans le monde. Sa participation active, de concert avec les autres États-membres, aux travaux visant à doter l’Union de capacités de gestion des crises épaule les objectifs nationaux et internationaux de la Finlande en matière de sécurité. L’appartenance à l’Union européenne constitue l’un des facteurs fondamentaux de la politique de sécurité de notre pays.

Les résultats de Nice

Le ” paquet ” PECSD entériné par le Conseil européen de Nice, lequel portait sur la mise en place d’une force de réaction rapide, de nouveaux organes politiques et militaires, les rapports de coopération avec l’Otan et les pays tiers, ainsi que le développement de la gestion civile des crises, marque une nouvelle phase dans le développement de la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc). Le rôle international de l’Union s’en voit en même temps renforcé.
Le résultat atteint à Nice repose sur l’esprit du traité de Maastricht qui associe intimement l’union politique au renforcement et à l’élargissement du rôle international de l’UE. Au cours de la décennie écoulée, l’Union s’est imposée comme un acteur international unique en son genre, ni État fédéral ni superpuissance, mais qui diffère néanmoins de ce que l’on entend traditionnellement par organisation internationale.
Nice poursuit dans le sens du traité d’Amsterdam, qui pose que la Pesc doit se définir progressivement par des actions et stratégies communes reposant sur des défis concrets. C’est à un moment où les défis extérieurs avaient gagné en gravité que les États-membres ont entrepris, peu après Amsterdam, de développer concrètement la capacité commune de gestion militaire des crises.
En rejoignant l’Union, la Finlande a souscrit sans réserve aux engagements du traité de Maastricht. À l’instar des autres nouveaux membres, nous avons pu constater avec les anciens États-membres que la non-alliance militaire n’obstruait ni ne limitait la pleine participation, sur un pied d’égalité, à la mise en œuvre et au développement de la politique étrangère et de sécurité commune. Cette analyse qui part des engagements formels souscrits par la Finlande a montré son bien-fondé en 1996, quand la Finlande et la Suède ont pris l’initiative conjointe qui a permis d’inscrire, dans le traité d’Amsterdam, la gestion militaire des crises comme action commune de l’Union.
La présidence de l’UE, qu’elle a assumée en 1999, a permis à la Finlande de faire entrer la capacité de gestion des crises dans une nouvelle phase concrète de développement, sur les mêmes bases que celles adoptées pendant les préparatifs du sommet d’Amsterdam. On est tombé d’accord à Helsinki sur les principes généraux de la politique de sécurité et de défense commune, les objectifs en termes de moyens militaires et le cadre structurel. Un débat parallèle a été amorcé pour doter l’Union de capacités de gestion civile des crises, ce qui a conduit à la définition de domaines prioritaires au sommet de Feira (affaires de police, renforcement de l’état de droit et de l’administration civile, activités de sauvetage).
Les résultats de Nice s’inspirent des orientations d’Amsterdam, mais on envisageait alors la formule selon laquelle l’Union européenne ferait appel à la capacité opérationnelle de l’Union de l’Europe occidentale pour mettre en œuvre des actions communes : l’idée ne s’est pas révélée viable. Pour des raisons pratiques et politiques, il était indispensable que l’Union fût directement chargée de la mise en œuvre des opérations communes et, pour ce faire, pût dégager les moyens nécessaires et créer les organes ad hoc de planification et de décision. L’UEO est actuellement en voie de démantèlement en tant qu’organisation militaire.
En vertu des décisions prises, la PECSD porte sur la gestion des missions de Petersberg, inscrites dans le traité d’Amsterdam, mais il n’est pas question ici de créer une défense commune. Tous les États-membres participent pleinement et sur un pied d’égalité aux opérations communes de gestion de crises, décidées à l’unanimité et en toute indépendance. En même temps et conformément à sa vocation européenne, l’Union renforce ses capacités pour promouvoir l’ouverture et une coopération d’envergure.
Les incidences politiques

Si continuité il y a, on observe néanmoins que la mise en œuvre d’une politique de sécurité et de défense commune a vu le jour au sommet de Cologne sous l’action d’une nouvelle force motrice politique. À Amsterdam, on ne pouvait encore anticiper tous les liens politiques et les profonds engagements résultant forcément de l’idée de doter l’Union de capacités de gestion des crises.
Les décisions prises par l’UE en ce qui concerne la gestion des crises ont été précédées et guidées par l’initiative commune de la Finlande et de la Suède ainsi que par l’entente à laquelle étaient parvenues la France et la Grande-Bretagne à Saint-Malo. C’est dire le parallélisme des vues que l’on peut observer, pour ce qui est du besoin de développer la gestion des crises, entre les pays non alliés de l’Union et les deux premières puissances militaires de l’Union qui sont aussi membres de l’Otan.
Les États-Unis, qui soulignent, depuis le début, l’importance du nouveau projet de l’Union européenne, se sont résolument exprimés sur la manière dont ce projet devrait être concilié, s’agissant de gestion des crises, avec le rôle dirigeant de l’Alliance Nord-atlantique. Les États-Unis sont en même temps engagés dans un débat en profondeur pour les orientations de la politique de sécurité, circonstance qui affecte, pour sa part, l’évolution des rapports UE-États-Unis du point de vue du règlement des problèmes de sécurité européens et planétaires.
La mise en état opérationnel d’une capacité européenne de gestion des crises coïncide avec l’élargissement à venir de l’Union. Les nouveaux membres rejoindront une Union dont le rôle international sera étendu à de nouvelles sphères de la politique de sécurité. Dans la mesure où les mêmes pays aspirent aussi à devenir membres de l’Otan, les décisions à prendre au cours des prochaines années devront tenir plus intimement compte des liens existant entre l’élargissement de l’UE et celui de l’Otan, ainsi que des retombées géopolitiques et géoéconomiques de ces deux processus au regard de l’unification européenne.
Le renforcement du rôle de l’Union en ce qui concerne la sécurité va par ailleurs de pair avec la nouvelle attention accordée aux relations UE-Russie du point de vue de l’évolution générale du continent, laquelle procède de l’évolution et de l’élargissement de l’Union et des réformes en cours en Russie. Dans le domaine de la sécurité, la coopération entre l’UE et la Russie devra être adaptée à la mission historique essentielle dont les deux parties sont investies, qui est de transcender les vieilles lignes de division en Europe et d’en prévenir l’apparition de nouvelles.

Un acteur à part entière

La signification véritable et directe de la PECSD dépendra des résultats concrets qui seront atteints au cours des prochaines années. Quels que soient les motifs et intentions des uns et des autres, les États-membres sont tombés d’accord sur un plan d’action précis face à un défi manifeste et réel pour la sécurité européenne. Eu égard à la politique de sécurité et de défense commune, l’Union et ses États-membres devraient à présent porter leurs efforts sur la tâche qu’ils se sont assignée de faire de l’Union un acteur opérationnel dans la gestion des crises.
L’échec des tentatives de règlement de la crise du Kosovo, qui a dégénéré en conflit – quelques années seulement après l’enrayement difficile du violent conflit de Bosnie-Herzégovine – a finalement persuadé les autorités de l’Union que tout doit être entrepris pour que de telles catastrophes humaines et politiques ne se reproduisent plus en Europe. Dans le même temps, un large consensus s’est fait jour sur la nécessité, pour l’Union européenne, d’être à même de faire plus pour la prévention des conflits et la gestion des crises qu’elle ne le fit au cours de la décennie passée, dans une Europe sortant de la guerre froide et agitée par de difficiles bouleversements ayant parfois pris un tour localement violent.
Il est nécessaire que l’Union dispose également de moyens militaires dès lors qu’elle prend part à la coopération internationale pour le règlement des problèmes de sécurité. Il est en même temps évident que la contribution militaire de l’Union ajoute une plus-value à la sécurité internationale, dans la mesure où cette contribution repose sur le plein rôle de l’Union et complète les exceptionnels moyens et points forts politiques, économiques et humanitaires dont elle peut se prévaloir et qu’il s’agit de développer dans le domaine de la gestion civile des crises.
Pour le maintien de la sécurité européenne, l’Union a un pouvoir et une responsabilité comme acteur polyvalent sui generis. Les compétences et les capacités de l’Union recouvrent la politique de stabilité orientée vers la promotion des réformes politiques et économiques et de la démocratie, la prévention des conflits et la reconstruction, de même que la gestion militaire des crises. L’Union doit conserver ce statut et lui conférer plus de poids encore dans la nouvelle donne que connaissent actuellement les relations internationales.
La nécessité de renforcer, parallèlement à la capacité militaire, la gestion civile des crises, a d’ailleurs été la première conclusion qui s’est imposée à tous quand il s’est agi de définir la politique de sécurité et de défense commune. De concert avec la Suède, la Finlande soutient la création d’un nouvel organe chargé de développer la gestion civile des crises et la définition d’objectifs précis de capacités, point sur lequel on est arrivé à un accord à Feira pour ce qui est des moyens policiers. L’Union a d’abord entrepris de se doter d’une capacité pour réaliser les opérations policières, tandis que des objectifs concrets seront par la suite fixés dans les autres domaines prioritaires.
La politique de sécurité et de défense commune relève de la coopération intergouvernementale. Prises à l’unanimité, les décisions concernant la gestion militaire des crises relèvent du Conseil et des organes placés sous son autorité. Le projet de PECSD ne pourra réussir que s’il y a consensus sur la nécessité de mener à bien la gestion militaire des crises dans le cadre d’une structure unique communautaire. La coopération militaire doit également reposer sur le rapport entre l’équilibre des institutions et les piliers de l’Union.
La Commission européenne occupe, grâce à ses moyens, une place capitale dans la politique de stabilité, d’assistance et de reconstruction de l’Union. Il y a lieu d’utiliser également ces moyens dans la gestion civile des crises par l’Union, tout en s’assurant que le secrétariat est suffisamment compétent.
La PECSD ne débouchera ni sur une ” euroarmée ” ni ne transformera l’Union européenne en une alliance militaire. Les nouvelles missions, l’entrée de militaires dans les organes de l’Union et la planification stratégique apporteront certes un nouvel élément dans la culture administrative et les modes d’action de l’Union. La gestion militaire des crises implique un système d’alerte et d’action rapide qui privilégie la souplesse décisionnelle et une certaine promptitude à réagir aux changements de situation. Le changement d’habitudes qui s’ensuit favorise à son tour la capacité d’action et de réaction de l’Union, aspect qui n’est point négligeable au regard de la gestion civile des crises et du renforcement de l’influence politique, diplomatique et économique de l’Union.
On ne saurait invoquer la gestion militaire des crises dans un désir d’empêcher la transparence décisionnelle et d’en freiner le développement dans les organes de l’Union. Même s’il s’agit de questions militaires, on ne doit s’écarter du principe de publicité des documents que dans les limites du nécessaire pour la sécurité des personnels et des opérations. La Finlande estime que la décision d’imposer la confidentialité des documents relatifs à la gestion des crises a été prise dans la précipitation et qu’il faudra revoir l’étendue de cette décision.

Les objectifs militaires

Les objectifs communs pour les effectifs et les moyens militaires forment le noyau dur de la PECSD. Ces objectifs font de l’Union un acteur véritable et de premier ordre s’agissant de coopération internationale dans la prévention des conflits et la gestion militaire des crises.
Les observateurs extérieurs jugeront l’ensemble de la PECSD à l’aune de la concrétisation des objectifs militaires. Les États-Unis en particulier, premier partenaire de l’Union, ont fait savoir que la crédibilité de la PECSD dépendra de la volonté de l’UE d’augmenter sa capacité militaire en plus du nombre de ses institutions.
Les États-membres de l’Union sont les mieux à même d’apprécier la portée du projet et le défi qu’il représente. Ils n’avaient jamais examiné de concert les affaires militaires, ni dégagé des moyens militaires pour un usage commun. Vus sous cet angle, les principes de la gestion militaire des crises, son cadre et ses moyens ont été rapidement et efficacement décidés. De ce fait, on songe déjà à mettre l’Union en état opérationnel, deux ans seulement après les premières décisions.
Les États-membres ont montré que le projet leur tenait à cœur. Ils se prévalent certes d’antécédents et d’une expérience de coopération militaire dans les missions de maintien de la paix pilotées par l’Onu, au sein de l’Otan, du partenariat pour la paix et de l’UEO. Ils disposent tous de moyens nationaux qui peuvent être mis à la disposition de l’Union. Les États-membres se sont engagés à fournir un nombre suffisant d’hommes, l’objectif étant le déploiement d’une force opérationnelle de 60 000 personnes d’ici à l’an 2003, comme l’a décidé le sommet d’Helsinki.
Il importe que ces effectifs puissent au besoin être mis concrètement à la disposition de l’Union et qu’ils soient dotés des équipements techniques suffisants pour leur mobilité et leur endurance. Il importe tout autant que les troupes disposent de la qualification nécessaire à l’accomplissement des tâches auxquelles elles peuvent être confrontées en cours de mission.

L’expérience finlandaise

La contribution finlandaise aux opérations de maintien de la paix est une longue histoire. Depuis 1956, quelque 40 000 Finlandais ont pris part aux opérations de maintien de la paix de type traditionnel ou de conception plus récente sous la bannière de l’Onu et dans les missions de gestion militaire des crises conduites par l’Otan (Sfor, Kfor). Le personnel finlandais, formé pendant le service militaire aux missions de maintien de la paix, vient pour la plupart de la réserve, les 10 % restants venant de l’armée active. Il s’agit donc de civils qui bénéficient d’une formation complémentaire et sont astreints à un entraînement avant d’être envoyés sur le terrain. C’est dire que le personnel finlandais a les qualités requises pour mener à bien les missions relevant de la présence militaire qui épaule, comme au Kosovo, la reconstruction quand les armes se sont tues dans les régions en crise. Les troupes finlandaises ont coopéré avec succès avec les populations civiles, fonction qui ne cesse de gagner en importance dans la gestion des crises. La formation des troupes n’a rien perdu de son actualité.
Le mode d’action des soldats de la paix finlandais, qui sont tous des réservistes, diffère grandement des pratiques propres aux armées de métier des grandes puissances. Si ces dernières ont plutôt tendance à accentuer leur pouvoir de dissuasion, peu enclines qu’elles sont à renoncer à leurs véhicules blindés et à leur armement lourd et à collaborer avec les populations civiles, les Finlandais s’efforcent quant à eux, et autant que possible, d’intervenir par le dialogue et de régler les problèmes des populations civiles en recourant à toute la palette de leurs compétences civiles, qu’il s’agisse d’entraîner une équipe de basket-ball ou de procéder à des travaux de charpente.
Le legs du temps de la neutralité, qui a permis d’acquérir une riche expérience dans les opérations de maintien de la paix conduites par l’Onu, a rendu les casques bleus finlandais particulièrement sensibles aux besoins des victimes civiles. Les troupes finlandaises se sont par ailleurs adaptées rapidement et efficacement aux nouvelles formules de gestion des crises, qui sont plus exigeantes en termes militaires, en tirant de précieux enseignements de leur participation aux opérations conduites par l’Otan en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. À l’instar des autres États-membres, la Finlande dispose de toutes les capacités requises pour sa participation aux opérations de gestion des crises conduites par l’UE. Celles-ci peuvent aussi lui imposer certaines exigences particulières.

Les missions de l’UE

À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas avec précision la nature des missions qui seront confiées aux troupes conduites par l’UE quand il faudra relever un tel défi. Même si l’on a pu s’accorder sur différents scénarios, c’est en dernière analyse la situation concrète qui dicte les choix.
Les États-membres sont convenus de doter l’Union de toutes les capacités requises pour la gestion des missions les plus exigeantes de Petersberg. Ils peuvent avoir des définitions différentes de cette catégorie de missions et il est vain de vouloir la définir formellement avec précision. En dernière analyse, ce sont bien les États-membres qui décident en toute indépendance, sur la base de leurs orientations et principes nationaux, de la mise à disposition de leurs troupes. Ainsi, la Finlande n’autorise la participation de Finlandais qu’aux opérations faisant l’objet d’un mandat du Conseil de sécurité de l’Onu ou de l’OSCE. Cet impératif est dicté par notre législation ad hoc.
Il est raisonnable et réaliste de tabler sur le fait que l’Otan conservera son rôle dirigeant, notamment dans les opérations militairement délicates. Le sommet d’Helsinki a confirmé le fait que l’UE n’avait pas vocation à rivaliser avec l’Otan. L’UE et l’Otan prennent leurs décisions en toute indépendance et c’est sur cette base qu’il est d’abord naturel de juger si l’Otan est disposée ou apte à accomplir telle ou telle mission avec ses partenaires pour la paix. L’UE pourrait être un acteur politiquement adéquat au cas où les États-Unis ne seraient pas prêts à intervenir ou s’ils marquaient quelque réticence. Les opérations militaires ne sont jamais qu’une composante de l’action de la communauté internationale. Tout indique que les pays rassemblés autour d’un objectif commun sauront, dans la plupart des cas, trouver le mode de coopération qui convient naturellement entre les diverses organisations et qu’ils sauront également s’entendre sur la division du travail.
La PECSD contribue à renforcer le rôle de l’Union européenne, lequel reste en toutes circonstances primordial pour le maintien de la sécurité et de la stabilité en Europe. Le programme adopté par le sommet de Nice permet à l’Union de réaliser, avec les moyens nationaux et multinationaux des États-membres, des missions militairement limitées qui n’en sont pas moins précieuses et vitales, telles que la protection des populations civiles, l’organisation de l’aide humanitaire ou le rétablissement de la loi et de l’ordre, de concert avec les autorités des régions concernées. L’évacuation de ressortissants peut même entrer en ligne de compte dans des contrées situées en dehors du périmètre européen. Une fois que les arrangements ayant trait à l’utilisation des moyens de l’Otan auront été fixés, l’Union pourra mener à bien des missions égales en importance à celles de la Sfor ou de la Kfor, lesquelles visent à séparer les groupes antagonistes et à réunir les conditions d’un règlement politique.
L’application des décisions de Nice et la mise en état opérationnel de l’Union dans la gestion militaire des crises nécessiteront de nouveaux efforts et des ajustements. Selon l’objectif communément fixé, il est question de mettre sur pied une force de réaction rapide qui sera entièrement opérationnelle d’ici à l’an 2003. Le travail du développement des troupes et des équipements sera naturellement poursuivi au-delà de cette échéance. Il reste notamment beaucoup à faire dans la gestion civile des crises. Les nouveaux organes politiques et militaires peuvent être sans délais mis en place sur une base définitive. Le mécanisme de consultation avec l’Otan est en place, mais les modalités d’accès à ses moyens dans les opérations conduites par l’UE devront encore, pour ce qui est des détails, être approuvées sur la base de l’autonomie des prises de décision et à partir de considérations pratiques. Une coopération avec l’Onu et l’OSCE dans le domaine de la gestion civile des crises est en cours d’élaboration.
Si l’on ne sait circonscrire d’avance avec trop de précision le rôle de l’Union, il importe que celle-ci reste un partenaire aspirant à la coopération et à l’ouverture en Europe et même en d’autres théâtres. Il ne serait ni constructif ni réaliste de transformer l’Union en une nouvelle superpuissance capable d’user de la contrainte militaire.
L’Union devra développer progressivement ses capacités dans les limites de son propre développement général et sur la base du consensus entre les États-membres.
À Nice, l’Union a modifié son processus de décision et ses institutions en vue du futur élargissement. Le développement de la PECSD n’exige en soi que des modifications techniques mineures de l’accord, mais le renforcement des capacités et des pratiques décisionnelles de l’Union est aussi d’une importance essentielle pour la crédibilité de la gestion des crises. Tout antagonisme qui naîtrait entre petits et grands pays nuirait autant à ce secteur qu’aux autres actions communautaires. L’UE doit veiller en son sein à la légitimité politique de ses opérations de gestion des crises. Il importe que la coopération de l’UE en la matière ne suscite le doute qu’elle puisse servir d’instrument d’une politique d’intervention évinçant l’Onu. C’est la raison pour laquelle l’UE doit s’efforcer de coopérer étroitement avec l’Onu et de participer activement, en application de la Charte, au développement des règles codifiant les opérations de maintien de la paix et les interventions humanitaires.
Bien qu’il revienne à chaque État-membre de juger en toute indépendance de sa participation aux opérations, les décisions sont prises à l’unanimité. D’autres pays peuvent être conviés aux opérations en tant que partenaires. Pour la crédibilité de la PECSD, il est vain de vouloir appliquer le principe de la coopération renforcée pour la constitution de troupes destinées à intervenir dans la gestion de telle ou telle crise. À Nice, la défense a été totalement exclue du champ de la coopération renforcée. La Finlande était disposée à y réfléchir, mais quand il s’est avéré que certains États-membres plaidaient l’adoption de ce mécanisme pour introduire l’Eurocorps dans les structures communautaires, je puis dire que je suis aujourd’hui satisfait de cette exclusion. Ne voyant pas en quoi l’introduction de l’Eurocorps dans la sphère de l’UE lui conférerait quelque plus-value, je juge préférable d’exclure ce type de coopération du champ de la PECSD.

L’importance des réformes en matière de défense

Il est pourtant à regretter que le domaine des industries de l’armement ait été exclu de la coopération renforcée. Consciente de ne pas être un acteur notoire dans le domaine des industries de l’armement, la Finlande s’y intéresse néanmoins et aspire à participer à la coopération et à la restructuration en cours, entre les États-membres comme en dehors de l’Union.
La nouvelle formule de gestion des crises appelle un apport de haute technologie. L’Otan est engagée dans un programme de réforme dont la réalisation passe par les décisions prises au niveau national. Le débat n’opère aucune distinction entre les missions de gestion des crises, les missions de défense commune entrant dans le domaine de compétence de l’alliance militaire et les opérations recourant à la contrainte militaire, telles que les bombardements du Kosovo.
On ne saurait, sous couvert de plans de réformes et d’acquisitions matérielles qui se concrétiseront à plus ou moins longue échéance, exprimer des demandes irréalistes concernant les capacités de l’Union pour la gestion des crises, provoquer un antagonisme entre les États-Unis et l’Europe ou remettre en cause l’importance de la PECSD pour la sécurité européenne. L’Otan et l’Union doivent, chacune jouant son propre rôle, se préparer aux missions de gestion des crises sur la base des moyens actuels, en même temps qu’elles poursuivent la modernisation technique des secteurs public et privé.
Tous les États-membres se trouvent engagés dans une restructuration de leurs forces armées, dont l’un des aspects concerne la gestion des crises. Le programme PECSD prévoit aussi le développement de moyens militaires communs appelés à être financés par des fonds européens. Ce programme, qui comprend aussi des projets bi et multilatéraux, donnera en son temps des résultats qui ne pourront que renforcer les capacités de l’Union.

Les perspectives stratégiques

La PECSD repose sur cette idée maîtresse que l’augmentation des moyens militaires mis à la disposition de l’Union dans la politique de sécurité et de défense commune renforce les capacités de l’Union et son rayonnement sur l’échiquier international. Néanmoins, l’influence de l’Union ne repose pas seulement sur les moyens dont elle dispose. C’est par ses capacités concrètes et son efficacité qu’elle gagnera en crédibilité et, partant, en prestige. En ce sens, les premières opérations véritables qui seront conduites par l’Union seront du plus grand prix en termes d’accumulation d’un capital de crédibilité. Tout porte à croire que la première opération appelée à être conduite par l’UE sera une opération de police civile, du type de celle dont l’UEO était auparavant chargée en Albanie.
Il est naturel que la naissance et la mise en œuvre d’une politique de sécurité et de défense commune alimentent le débat sur les relations que l’Union entretient avec les autres grands acteurs internationaux.
La Finlande a tiré avantage de sa coopération avec l’Otan pour le développement de ses capacités en matière de gestion des crises. C’est sur le travail fourni dans le cadre du Partenariat pour la paix que s’appuie la contribution finlandaise à la force de réaction rapide commune. La coopération entre l’UE et l’Otan est pour la Finlande une question pratique, avantageuse pour tous dès lors que les règles du jeu sont clairement définies.
Les relations entre l’Union européenne et les États-Unis se sont enrichies d’une dimension de sécurité à laquelle leurs mécanismes de consultation et de coopération auront à s’adapter. Sans être des acteurs identiques, l’Union et les États-Unis n’en constituent pas moins, dans le concert des pays démocratiques, des pôles centraux responsables de la sécurité en Europe et dans le monde. La PECSD peut contribuer à un dialogue fécond entre l’Union européenne et les États-Unis. S’ils peuvent ne pas partager les mêmes vues quant aux modes de règlement des crises régionales et à l’importance des moyens politiques et militaires, ils n’en sont pas moins les premiers responsables de la stabilité, du développement et de la sécurité de la planète.
L’évolution des relations entre l’UE et la Russie est une composante essentielle de la construction d’une sécurité durable en Europe au cours de cette deuxième décennie post-guerre froide. Le dialogue UE-Russie sur la PECSD a pour ambition de dégager, entre les deux partenaires, un espace de coopération viable pour la gestion des crises. Loin de faire l’objet d’une rivalité stratégique ou militaire, la gestion des crises constitue au contraire le moyen de promotion d’une sécurité et d’une stabilité fondées sur la coopération. Le capital de coopération accumulé par l’Union et la Russie est de nature à promouvoir l’entente réciproque dans l’ensemble de la politique de sécurité.
À ce nouveau stade de la construction européenne, il importe que l’Union reste et apparaisse de plus en plus comme le moteur et le nerf de la stabilité et du renouveau en Europe.
Cet article ne spécule aucunement sur ce que pourrait être, à terme, la perspective de défense commune évoquée dans les textes fondateurs. Si je me suis tu sur ce point, c’est que j’ai le sentiment que l’on n’est pas prêt à aller de l’avant et qu’il n’y a pas lieu de prendre de nouvelles décisions en ce sens. Dès avant le sommet de Nice, l’opinion s’était imposée dans l’Union qu’il n’était pas opportun, avant la mise en œuvre des décisions d’en tirer les enseignements, de compliquer la tâche par un incessant dialogue sur les éventuelles nouvelles étapes à franchir. Leur heure viendra si tel est leur destin, mais encore faut-il que les temps soient mûrs et qu’il existe un réel besoin.